NOUAGE \09 - entrer dans la langue

Variations sur la langue Patricia Loubet

On la tire, on l’apprend, on la donne au chat… Quelle langue ?

Distincte de ce dont s’occupe la linguistique, ou bien l’école qui est plutôt « un lieu de restriction de la langue », celle que l’on mettra ici en valeur ne s’apprend pas, précise Éric Zuliani dans le texte d’orientation, « La résonnance de la parole – Trauma et symptôme » [1] qui ouvre ce numéro de Nouage. Pas complètement abstraite, ni complètement rattachée au corps, il sera question de la langue comme fruit de la rencontre entre les mots et le corps.

Dès ses débuts, la psychanalyse s’est intéressée à ce nouage et l’a formalisé. Elle en a fait le cœur de son expérience. É. Zuliani nous familiarise avec ces fines distinctions relatives au champ du langage et à la fonction de la parole, puis s’en émancipe pour faire saillir le nouveau qu’introduit Lacan avec lalangue. Ce déplacement possède un enjeu. Lalangue permet d’appréhender un nouveau rapport des mots et du corps, un « champ de l’accidentel » où le symptôme, les formations de l’inconscient viennent témoigner de la jonction entre des éléments signifiants du langage et une substance en apparence hétérogène, la jouissance.

É. Zuliani s’occupe de rendre visible le bizarre de la langue, de rendre sensible qu’elle est probablement ce qu’il y a de plus vivant chez l’humain. Sa lecture éclairante de la « Conférence à Genève sur le symptôme », prononcée par Lacan en 1975, insiste sur le fait que la langue sert à tout autre chose que la communication, elle n’est jamais celle de tout le monde. Le cas de Raymond, un enfant rencontré il y a plusieurs dizaines d’années – ce qui autorise aujourd’hui sa publication – permettra de donner un écho concret à l’usage clinique de ces formalisations théoriques. Le transfert sera le lien qui permettra à ce jeune d’accéder à la création d’une langue ayant valeur de symptôme.

 

La parole concrète

La clinique de l’autisme permet de faire l’expérience de la parole concrète. Le texte de Christiane Alberti donne ainsi un poids spécial à la parole qui se distingue de facto de la parole vide. La rencontre avec le sujet autiste propulse d’emblée dans un rapport direct au réel. Elle oblige celui qui s’y engage à formuler sa conception causale et à préciser sa position thérapeutique. Ce texte précieux oriente la lecture sur les enjeux éthiques et politiques des effets de la parole dans la thérapeutique. La langue se connecte ici à la parole, à d’autres topos capables de démontrer la force et la présence de son immixtion dans le monde. Il est question de l’expérience de l’inconscient concret, de la parole concrète en tant qu’elle s’oppose aux généralisations abstraites et déshumanisantes vers lesquelles glisse notre époque. Une mise au point, mais aussi et surtout l’occasion de repréciser ce que permet l’orientation lacanienne.

 

La matière sonore des mots

Cette formulation empruntée au texte de C. Alberti traverse dans un style différent, le travail des trois artistes dont il sera ici question.

Vincent Thomasset s’est produit sur scène, « debout face à un pupitre », lors du Week-end Lacan, colloque de l’acf-mp organisé à Toulouse en avril dernier. Un matériel sommaire qui n’a pas fait d’ombre à la véritable star de son spectacle : son « usage vibrant de la langue ». Difficile d’en donner un échantillon sonore mais on comprend très bien, en lisant le texte de Clémence Coconnier, que ce jeu subtil de variations sur la langue est une jouissive création !

Dominique Sigaud s’est entretenue avec deux de nos collègues toulousaines lors du colloque régional Week-end LacanNouage publie ici un extrait de cette conversation qui fut un moment d’une rare intensité. C’est en écoutant l’écrivaine, décidée, sans compromis avec la langue qui jamais ne glisse dans le blabla, que l’idée de ce numéro de Nouage a germé. Un phénomène singulier se produit à la lecture de cet entretien. La force et la précision de son énonciation sont telles, que si l’on tend l’oreille, on l’entend parler. Est-ce parce qu’elle écrit sur la langue qu’elle parvient ainsi à traverser le papier, ou bien parce que la langue, c’est sa survie ?

Pascal Rambert ne s’arrête jamais – de parler, de bouger, de jouer, de mettre en scène. Il est cependant aisé de l’interpeller et d’échanger avec lui. Nous avions eu la joie de le rencontrer, lors d’un bord de scène au Théâtre de la Cité à Toulouse, suite à la représentation de Clôture de l’amour, pièce qu’il a écrite et mise en scène – et exceptionnellement ce soir-là, il l’a joué. La sortie du livre, Mon cœur mis à nu, s’est lu comme une occasion à ne pas manquer ! Il a accepté de répondre par écrit, comme il l’a fait sur la proposition de Laure Adler, à nos questions. Étonnamment, à le lire, un étrange surgissement de la voix se produit là aussi. L’absence de ponctuation dans ses réponses, que nous avons conservées intactes, donne l’impression vivifiante qu’il est là, juste à côté, qu’il a pris un peu de temps pour nous répondre. Le fond comme la forme s’unissent, pour une traduction inouïe, de ce que Nouage a voulu transmettre sur la langue.

 

Patricia Loubet est psychologue clinicienne, membre de l’acf-mp.

[1] Conférence prononcée le 22 juin 2019 à Toulouse, lors de la session « Paroles et traumas : les effets de la parole dans le corps » du Collège clinique de Toulouse.

Pour vous procurer un exemplaire d’un numéro de Nouage parution papier ( \03, \06, \08, \09) il suffit d’adresser votre demande par mail à la Librairie de l’ACF-MP à l’adresse suivante : acfmp.librairie@gmail.com.

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